Un voyage dans le temps dans la Galerie des Bouquinistes, tantôt florissante, tantôt délaissée par les pouvoirs publics et sur le point de disparaître, avant de renaître de ses cendres. Un éternel recommencement, en somme.
1. La Galerie Bortier vue de l’intérieur
1.1 – Datant de la fin du XIXe siècle, le cliché ci-dessous est le plus ancien que l’on possède de l’intérieur de la Galerie Bortier. On y voit la librairie de Jean-Baptiste Moens (1833-1908), libraire-éditeur et philatéliste de renommée internationale, dont cette photo ornait l’en-tête du papier à lettre. Dans la partie rectiligne de la Galerie, Moens avait fait installer, à ses frais, les rayonnages que l’on voit au premier plan, s’inspirant des bibliothèques construites quelques années plus tôt par la Ville de Bruxelles, dans sa partie arrondie.
1.2 – Sur ces courriers datant de 1910, pour le premier et de juin 1914 pour le second, on reconnaît les bibliothèque de la partie courbe, cette fois, de la Galerie. Plusieurs boutiques sont occupées par les enfants du libraire-éditeur-philatéliste. A son décès, en 1908, le nom Moens demeure, tantôt sous le label « Moens Frères et Soeurs », tantôt lié à un seul prénom.

Source AVB
1.3 – L’illustration suivante, signée de Frans Gailliard (1861-1932) est datée de 1919. On peut y voir que cette partie de la Galerie était recouverte d’une verrière à un seul versant, sa configuration arrondie rendant trop complexe, pour l’époque, une verrière double comme celle qui recouvrait sa partie rectiligne (ill. 1.1.).
1.4 – Après la Première Guerre mondiale, certaines librairies de Jean-Baptiste Moens (1833-1908) ou de ses enfants passeront dans d’autres mains, comme ici Alexandre Leclercq, dont le nom apparaît pour la première fois dans l’almanach du commerce en 1920. La réputation de Moens était telle qu’ils continueront de revendiquer cette lignée en conservant son nom pour leur librairie. Et tout comme Moens avait ouvert la voie en ornant son papier à lettres d’une vue de la Galerie, Alexandre Leclercq fera imprimer des jaquettes illustrées par le dessin de Frans Gailliard.

1.5 – Le cliché suivant représente le même bras de la Galerie, vu depuis l’autre côté, en venant de la rue Saint-Jean. On y retrouve la verrière et même l’enseigne, au second plan. En revanche, le système d’éclairage semble avoir évolué entre ces deux représentations : réverbères, en 1919, lampes suspendues à la verrière en 1950.

1.6 – La Galerie vue par Paul Delaux en 1956. Lorsqu’il apprend que la Ville de Bruxelles a l’intention de sacrifier la Galerie Bortier dans sa partie arrondie, prenant pour prétexte de remodeler l’ancien Marché couvert de la Madeleine, devenu Salle des Fêtes depuis 1907, Paul Delvaux immortalise ce lieu unique pour en garder la trace. Aux vitrines des librairies qui vivent là leurs derniers moments, on distingue des écriteaux « LIQUIDATION TOTALE ». Une situation qui rappelle étrangement celle vécue aujourd’hui, en 2024, par la plupart des libraires de la Galerie Bortier.

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1.7 – Entre 1958 et 1974, suite à la démolition-reconstruction de la Salle de la Madeleine, la partie arrondie de la Galerie Bortier est laissée à l’abandon par la Ville de Bruxelles. Privée par ailleurs de sa verrière, elle se dégrade et devient un véritable chancre jusqu’au milieu des années 1970 où, à la faveur de la célébration du millénaire de Bruxelles, il est décidé de la restaurer ou plutôt, de démolir entièrement ce bras et de le reconstruire en recréant sa forme arrondie, quoique légèrement décalée par rapport à la construction originale.

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1.8 – En 1974, les travaux de restauration du bras arrondi de la Galerie Bortier seront confiés aux frères Mignot qui s’emploieront à en recréer l’ambiance d’avant sa démolition. Une nouvelle verrière, à deux versants cette fois, lui donnera le visage que l’on connaît encore aujourd’hui.


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1.9 – Dans la foulée de leurs travaux de démolition et reconstruction du bras arrondi de la Galerie, les frères Mignot se verront également confier la restauration de la partie rectiligne de la Galerie, qui avait survécu jusque là, avec sa verrière d’origine et les rayonnages installés par Moens. La verrière sera remplacée par une nouvelle structure plus légère, soutenue par des tubes en acier. C’est également lors de ces travaux de restauration que les grandes bibliothèques disparaîtront définitivement.



sortis chaque matin et rentrés chaque soir en un savant jeu de Tetris
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2. La Galerie Bortier vue de l’extérieur
2.1 – La rue de la Madeleine telle qu’elle se présentait en 1825 et la future Galerie Bortier au n°55.

2.2 – En 1900, l’entrée de la Galerie Bortier n’est pas très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. En revanche, la rue de la Madeleine offre un tout autre visage, bordée qu’elle est de part et d’autre de maisons. C’est que, depuis plusieurs siècles, elle est l’artère principale, appelée la Chaussée, qui traverse Bruxelles d’Est en Ouest. A peine dix ans plus tard pourtant, les numéros pairs de la rue seront démolis, prélude à d’interminables travaux qui, de la construction du Mont des Arts à la Jonction Nord-Midi, rendront le quartier méconnaissable. Les numéros impairs, dont la Galerie Bortier, échapperont au massacre.



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2.3 – Vers la même époque, à l’autre extrémité de la Galerie, rue Saint-Jean, le libraire-éditeur Jean-Baptiste Moens (1833-1908) pose fièrement avec une partie de sa (nombreuse) progéniture, devant la librairie du n° 23, tenue par son fils Alexandre. Cette entrée mène à la fois à la Galerie Bortier et au premier étage du Marché de la Madeleine.
2.4 – Selon toute vraisemblance, la photo suivante date de la même époque. Le Magasin Au Roi du Printemps est déjà repris dans l’almanach des commerces en 1905 et, de l’autre côté de l’entrée de la Galerie, la devanture du magasin, très semblable à l’illustration précédente, est sans doute celle de la librairie d’Alexandre Moens.

2.5 – En 1930, que l’on pénètre dans la Galerie Bortier par la rue de la Madeleine ou par la rue Saint-Jean, le doute n’est pas permis : on entre dans une grande Librairie ! Par la rue Saint-Jean, on peut même dire qu’on entre « chez Moens ». Ce qui, au vu du nombre de boutiques reprises par les enfants du philatéliste, n’est pas très loin de la réalité ! Sur le troisième cliché, pris en1942, on peut voir que l’activité continue pendant la Seconde Guerre mondiale. Le conflit terminé, on retrouvera la trace, grâce aux almanachs à nouveaux publiés, des mêmes libraires et des mêmes boutiques.



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2.6 – En 1974, suite aux travaux des architectes Mignot, la Galerie sera raccourcie et dotée d’une nouvelle entrée rue Saint-Jean, l’ancienne entrée du marché devenant issue de secours de la nouvelle Salle des Fêtes. Depuis lors, la Galerie n’a plus connu de transformation majeure, extérieurement, du moins.



Et demain ?
Quel sera l’avenir de la Galerie Bortier, appréciée jusqu’ici pour être un véritable îlot de tranquillité dans un centre-ville en perpétuelle ébullition ? Impossible de répondre aujourd’hui, mais l’arrivée d’un acteur privé, spécialiste des food-markets imposé en toute opacité par la Régie foncière, aura d’inévitables conséquences sur sa nature. En moins d’un an, tandis qu’en coulisses se tramait cette privatisation qui ne dit pas son nom, le nombre de libraires est passé de sept à trois, qui ne doivent leur survie, à ce jour, qu’à des baux locatifs, anciens et plus solides, et au prix d’une folklorisation de leur boutique, so trendy dans la new Bortier Gallery. Vite, un selfie devant la vitrine!
Article lié :
Galerie Bortier et Marché de la Madeleine, un acte de naissance unique, deux identités





Il est fait mention dans ce texte d’une liaison avec la Salle de la Madeleine – ancien Marché.
On aimerait voir les plans de cette transition. D’autant plus qu’il y a de toute évidence une dénivellation !
Vous trouverez toutes ces explications dans l’article « Galerie Bortier et Marché de la Madeleine, un acte de naissance unique, deux identités » :
https://www.galeriebortier.net/galerie-bortier-marche-naissance/