En 1830, peu avant la Révolution belge, Pierre-Antoine Bortier, créateur de la Galerie qui portera son nom, hérite terrains et fortune d’un oncle, tandis que sa soeur devient propriétaire du n° 55 de la rue de la Madeleine. Cette imposante maison de maître est alors un florissant relais de poste et de diligences, connu sous le nom de Messageries Royales. Mais l’avènement du chemin de fer, en 1835 , marquera la fin de cette prospérité.
Héritier, avec ses soeurs aînées, de la propriété, et conscient que le bien est devenu trop grand pour l’activité déclinante des Messageries, Pierre Bortier se met alors à envisager d’autres pistes.
Bâtiments aux formes irrégulières, cour biscornue qui fut jadis celle d’un couvent, l’ensemble, enclavé en intérieur d’îlot jouxtant l’arrière de l’Hôpital Saint-Jean, s’était adapté à la fonction de relais postal où les diligences pouvaient manoeuvrer à leur aise, mais n’est guère pratique. On y accède par une entrée cochère de la rue de la Madeleine, alors artère commerçante en vogue et grouillante de chalands.
Quant au quartier, c’est un véritable chapelet de marchés, aux poulets, au bois, aux herbes ou au beurre, comme en témoignent le nom des rues avoisinantes.
Pour Pierre Bortier, il ne fait aucun doute que les anciennes Messageries doivent devenir un marché. Son choix se porte alors sur un Marché aux Fleurs, propice à la succession de petites boutiques de même nature, donnant à l’ensemble un aspect à la fois homogène et bigarré. A l’époque, ce marché, qui s’est longtemps tenu en plein air, n’est pas encore fixé sur la Grand-Place mais se tient dans la cour d’un ancien hôtel particulier de la rue de la Montagne, l’Hôtel du Faucon. Pierre Bortier veut-il concurrencer ce marché ? Le projet de le déplacer est-il déjà dans l’air ? On l’ignore, mais toujours est-il qu’il fait appel à un architecte parisien, du nom de Hector Horeau, pour dessiner un projet qui, on le sait, ne verra jamais le jour mais qui préfigure, par bien des aspects, ce qui deviendra plus tard le Marché couvert de la Madeleine.

Limité, dans ses dimensions, à ce qui correspond aujourd’hui à la partie rectiligne de la Galerie Bortier, on y retrouve l’idée des boutiques, pour la plupart si petites qu’elles furent appelées des « loges », comme celles qui seront occupées quelques années plus tard par les libraires.
S’il n’est pas encore question de galerie entièrement couverte, cette esquisse nous montre déjà l’idée de balcons, qu’on imagine en fer forgé ou en fonte, bordant les boutiques et donnant à l’ensemble un petit air de la Nouvelle Orléans et de son Vieux Carré, dont le type de constructions remonte alors à moins d’un demi-siècle.
On devine aussi l’idée d’en faire une promenade, un lieu de flânerie, en retrait de la rue de la Madeleine où règne une animation permanente. On retrouvera cet esprit dans le projet qui verra finalement le jour, puisque les « loges » de la Galerie Bortier, inspirant au calme, seront rapidement prisées par de paisibles libraires et leurs clients, dès les premières heures du Marché de la Madeleine, en 1848.
Mais ce Marché aux Fleurs, baptisé Cité Madeleine, restera finalement à l’état de projet. Car une fois l’Hôpital Saint-Jean rasé et les rues Duquesnoy et Saint-Jean tracées, Pierre Bortier achète à la Ville de Bruxelles quelques ares de terrain nécessaires pour valoriser sa parcelle et, surtout, pour lui donner un accès dans chacune des trois rues. Quelques mois plus tard, il écrit à la Ville pour lui revendre le tout avec, à la clé, un projet de Marché couvert et un prêt remboursable, à l’entendre, en quelques années. La suite, on la connaît, puisque ce projet, qu’on appellerait aujourd’hui un partenariat-public-privé, se révélera être un véritable gouffre financier pour la Ville… et une juteuse opération de spéculation pour Pierre Bortier.

Pour la petite histoire, l’idée du Marché aux Fleurs sera reprise par Cluysenaar, l’architecte du Marché couvert de la Madeleine et de la Galerie Bortier, qui l’intégrera dans les prestigieuses Galeries Royales Saint-Hubert, financées par le banquier Jean-André De Mot. Le marché était situé à l’endroit où se trouve le Vaudeville, ancien théâtre devenu « espace polyvalent dans un cadre d’époque » (spectacles, restauration, hôtellerie) de standing géré par… la S.A. Choux de Bruxelles (qu’on retrouve notamment derrière The Wolf, The Fox et le Chalet Robinson), la même qui est aujourd’hui derrière la transformation de la Galerie Bortier en food market !
Mais en 1850, trop peu rentable aux yeux du banquier De Mot et sans doute un peu perdu au milieu de riches boutiques, le modeste Marché aux Fleurs n’y restera que peu de temps et s’en retournera battre le pavé, comme à ses origines. Avec, cette fois, les honneurs de la Grand-Place où il se tient encore de nos jours. Ses échoppes au charme désuet ajoutent un cachet à « la plus belle place du monde », à l’instar des Bouquinistes qui, à Paris, bordent les Quais de la Seine.
Ou comme les libraires de la Galerie Bortier qui, depuis 176 ans, en ont fait un lieu hors du temps, homogène et singulier, connu et apprécié comme en témoignent les plus de 13.000 signatures de la pétition de soutien. Mais la Régie foncière de la Ville de Bruxelles, par ignorance ou par paresse, a préféré confier la gestion de cette Galerie publique à un acteur privé qui troquera bientôt l’odeur des vieux papiers pour celle du poisson, du fromage et des cuisines du monde, comme on en trouve déjà partout dans les zones touristiques du centre-ville.
A ce jour, trois libraires tiennent encore le coup, qui méritent tout notre soutien.

LA BOUQUINERIE qui prolongera pendant quelques mois, la vie du stock de la Librairie VAN DER ELST.
Des roses étaient ici affichées en vitrines pour remercier les signataires de la pétition en faveur des libraires.


