La rénovation de la Galerie Bortier par les frères Mignot

Lorsqu’en 1957, Paul Delvaux apprend que la Ville a pour projet de démolir prochainement le Marché de la Madeleine, entraînant dans sa disparition le bras de la Galerie Bortier menant à la rue Saint-Jean, il réalise cette aquarelle afin d’immortaliser les lieux tels qu’ils se présentent alors.

On y reconnaît les noms des libraires familiers de l’époque et l’on distingue, ici et là, des écriteaux « Liquidation totale » qui tranchent avec l’ambiance sereine qui se dégage de l’ensemble, ambiance propre à la faune des libraires et des lecteurs qui aiment prendre leur temps et que rien, pas même la menace qui plane, ni personne ne semble en mesure de perturber.

Pourtant on le sait, cette partie de la Galerie disparaîtra bel et bien ou plutôt, la Ville la laissera se détériorer lentement. Vidée de ses locataires-libraires et privée de sa verrière, elle offrira durant plus de quinze ans l’image désolante d’un chancre urbain, avant que les architectes Marcel et Paul Mignot ne soient chargés de sa rénovation. Ironie du sort ou opportunité de réparer ce qui avait été mal fait antérieurement, car c’étaient eux aussi qui avaient été désignés pour transformer le Marché de la Madeleine en Salle des Fêtes, cause de la dégradation du bras Sud de la Galerie, abandonnée à son triste sort, probablement faute de crédits. On leur laissera la bénéfice du doute, car leur travail, ici, fut des plus remarquables.

Source AVB

C’est en 1972 que la Ville de Bruxelles, qui vient de faire l’acquisition du rez-de-chaussée de la rue de la Madeleine et de plusieurs boutiques de la partie rectiligne de la Galerie Bortier, envisage enfin la restauration de sa partie délaissée. L’état de vétusté du bras Sud menant à la rue Saint-Jean ne permettant pas sa sauvegarde, il sera entièrement détruit et reconstruit dans le même esprit. Dans le compte-rendu du Conseil communal du 23 juin 1972 où la question est abordée, on peut lire :

Une pré-étude fait ressortir que la rénovation de l’ensemble permettrait de recréer des boutiques le long de la galerie et à front de la rue Saint-Jean, tout en aménageant un passage couvert en bordure du complexe de la Salle de la Madeleine dont les baies vitrées seraient transformées en vitrines d’exposition. Des logements pourraient être aménagés aux étages.

RECRÉER LES DEUX BRAS DE LA GALERIE

La partie rectiligne (bras Est) de la Galerie est soigneusement restaurée et Marcel et Paul Mignot reprennent la structure cintrée de la verrière, soutenue par une charpente en acier, qu’ils prolongent dans le bras Sud jusqu’à l’entrée de la rue Saint-Jean. Outre les modifications intérieures, pour lesquelles on se reportera à l’article La Bibliothèque Galerie Bortier, le bras Sud de la Galerie, entièrement démoli et reconstruit, se voit également raccourci et son entrée, déplacée d’une dizaine de mètres en amont de la rue Saint-Jean.

Source CIVA

Afin de rattraper la différence de niveau due à ce raccourcissement, de nouveaux escaliers sont placés dans le bras Sud et ceux du bras Est sont remplacés. Les boutiques de la Galerie sont restructurées afin d’y aménager une mezzanine pouvant servir de bureau et certaines cellules sont équipées, au sous-sol, d’une petite cuisine et de sanitaires.

Source CIVA

DONNER À LA NOUVELLE ENTRÉE DES LETTRES DE NOBLESSE

Dans la rue Saint-Jean, la façade de l’entrée d’origine de l’ancien Marché couvert est simplement restaurée et peu modifiée.

Source CIVA

En revanche, la façade de ce qui devient la nouvelle entrée Sud se voit totalement métamorphosée, la volonté des architectes étant d’offrir une vue d’ensemble de la galerie depuis la rue. Désormais l’entrée de prestige de la rue Saint-Jean, ce sera donc celle de la Galerie Bortier, signalée par une inscription à l’identique de l’entrée rue de la Madeleine. Et pour souligner ce changement de statut, les frères Mignot s’inspirent de façades néo-baroques détruites, quelque cent soixante ans plus tôt, lors du percement de la rue Duquesnoy, suivant en cela les prescriptions décidées pour ce quartier élevé, au début des années 1960, au rang d’ « Îlot sacré ».

Dans le but de « conserver ou de restituer aux voies publiques comprises dans ce périmètre leur caractère ancien et folklorique », ce statut préconise que toute nouvelle construction ou rénovation doit l’être sur la base de documents anciens réunis en un véritable « catalogue de façades ». Elaboré sous la direction de Raymond Lemaire, archéologue et historien s’étant rendu célèbre, quelques années auparavant, pour avoir restauré le Béguinage de Louvain, c’est donc dans ce catalogue que les frères Mignot trouvent l’inspiration pour la façade de la nouvelle entrée de la Galerie Bortier.

Triptyque réalisé à l’occasion de la réouverture de la Galerie Bortier

Après plus de deux ans de travaux, la Galerie rouvre ses portes en 1977 et, malgré la disparition de la bibliothèque géante, l’occupation des loges de la Galerie Bortier par des libraires et éditeurs parviendra à recréer et à préserver à ce lieu l’atmosphère d’une oasis de lecture.

Tel est l’aspect que présentent ces façades encore aujourd’hui, à ce détail près que, l’entrée d’origine du Marché, grillagée, couverte de bâches et devenue issue de secours de la Salle de concerts, fait désormais office de backstage des spectacles qui s’y déroulent, encombrant régulièrement les deux côtés de la rue Saint-Jean de grosses cylindrées, autocars, camions et autres engins de levage, entravant et masquant du même coup l’entrée de la Galerie Bortier de nombreux jours, semaines, mois par an. Avec la bénédiction de la Ville de Bruxelles et le consentement tacite des forces de l’ordre.

FLORILÈGE…

(2 commentaires)

  1. Bonjour.
    Merci pour vos articles intéressants.
    Sait-on si SA Choux de Bruxelles sera obligée de conserver des commerces et activités à caractère culturel dans la Galerie ?
    Des logements sont-ils aussi prévus / autorisés ?

    1. Selon le PRAS (Plan régional d’Affectation au Sol), les établissements commerciaux (HORECA ou autres) ne sont admissibles dans une zone reprise comme équipements d’intérêt collectif que s’ils constituent le complément usuel des ces équipement et non l’activité principale, ce qui n’est pas le cas ici et qui est donc contraire au PRAS.
      IEB (Inter-Environnement Bruxelles a récemment alerté sur cette question.
      https://ieb.be/La-Galerie-Bortier-new-look-est-contraire-au-PRAS
      Et concernant le logement, il y en a déjà aux étages de la Galerie. Il est clair que les activités commerciales, ainsi que les horaires prévus dans la Galerie par les futurs occupants, représentent pour eux une dégradation potentielle de leur qualité de vie.
      Quant à la SA Choux de Bruxelles, elle pourrait parfaitement développer les activités qui constituent son ADN, mais ailleurs qu’à la Galerie Bortier : à Knokke-le-Zoute, par exemple, où tous ces commerces de bouche seraient tellement plus à leur place !

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