Dès l’ouverture du Marché de la Madeleine, en 1848, les loges de la Galerie, jouxtant le marché sont occupées par des marchands de livres. L’entrée de la rue Saint-Jean donnait accès, sur la gauche, au premier étage du Marché, tandis que le passage menant à la rue de la Madeleine que l’on nommait déjà la Galerie Bortier, était garni, sur son flanc droit, de boutiques louées essentiellement par des libraires. Il y avait donc, rue Saint-Jean, une entrée commune à deux sections de natures différentes : aliments ou imprimés.
Le succès des librairies est tel que dès 1848, certains loueront des emplacements dans l’enceinte même du Marché, qui dans la Galerie du premier étage, qui dans le sas d’entrée de la rue Duquesnoy. La Ville, qui ne tolérera pas longtemps cette cohabitation avec les poulets et les salades, les priera de quitter le Marché dès janvier 1850. La plupart loueront alors l’une des boutiques de la Galerie Bortier, s’étendant également dans sa partie rectiligne, appartenant alors au privé, et renforçant ainsi son identité.
Le 18 juillet 1854, , Alexis Christiaens, un de ces libraires de la première heure qui occupe le n°4 de la Galerie Bortier, propose de louer « le mur de la Galerie menant à la rue Saint-Jean [en le couvrant] de rayons uniformes d’un bout à l’autre. » L’autorisation est refusée. Mais une trentaine d’années plus tard, en 1886, un projet similaire d’une gigantesque bibliothèque en bois est à nouveau soumis à la Ville de Bruxelles. Acceptée cette fois-ci! Elle longe la courbe extérieure de la salle et scinde le marché entre aliments et imprimés.
Conçue pour être adossée au mur du Marché, elle n’a donc pas de fond. Les rayons font face aux loges de la Galerie Bortier et ses locataires-libraires se partagent les rayonnages: 2 mètres 20 de hauteur et 27 mètres de longueur (38 cm de fond pour la partie basse et 28 cm pour les hauteurs).
Pour le badaud, rien ne distingue une librairie d’une autre, c’est une grande rue de livres protégée des intempéries par un plafond de verre, tendues de toiles pour masquer les rayons directs du soleil. Cette disposition va rester en place pendant des décennies et construire l’imagerie d’Epinal du lieu, limitée dans un premier temps à la partie courbe de la Galerie, mais rapidement imitée dans le bras Est de la Galerie, soit sa partie rectiligne, appartenant toujours au privé.
Tout porte à croire que, dans cette partie, c’est à Jean-Baptiste Moens, locataire-libraire-éditeur et passionné de timbres devenu philatéliste réputé, que l’on doit cette installation, à ses frais. Sur son papier à en-tête, il arborera d’ailleurs fièrement le nouvel aménagement des lieux.
Une douzaine d’années après son décès, en 1916, une de ses filles s’apprêtant à remettre son commerce, précise qu’elle est disposée à vendre au locataire à venir « les cloisons séparant le magasin ainsi que les rayons fixés aux murs, ou à enlever le tout, si cette combinaison devait échouer, et faire les réparations résultant de cet enlèvement. » Mais on sait que les rayons resteront bien en place et que le repreneur et les suivants, eux aussi libraires, en feront bon usage. Jusque dans les années 1950.
A cette époque, LA SALLE DE LA MADELEINE n’est déjà plus un marché couvert depuis 1891. Marchands et clients l’ont déserté et les pronostiques de débit des débuts n’ont jamais été atteints! Elle sert désormais, bon an mal an, de Salle de Fêtes de la Ville de Bruxelles.
A l’aube de L’EXPO 58, il est décidé de la « rénover » de fond en comble. En 1957, toutes l’architecture intérieure de Cluysenaar est détruite.
Pour rénover les pans extérieurs, les murs qui épousent la Galerie Bortier sont transformés, la verrière est détruite et la grande bibliothèque, démantelée, disparaît. Pendant près 20 ans, le bras de la galerie ouvert sur le rue Saint-Jean sera laissé à l’abandon par la Ville de Bruxelles. La ruelle est sinistrée.
Le passage rectiligne menant à la Rue de la Madeleine pourra préserver l’activité autour de l’imprimé. Cet espace, encore détenu par le privé, est finalement vendu à la Ville en 1972. Deux ans plus tard, deux architectes, Marcel et Paul Mignot, qui s’étaient déjà vu confier la démolition du Marché et sa transformation en Salle des Fêtes, sont nommés pour repenser l’ensemble de la Galerie Bortier et y ajouter, en hauteur, des appartements.
Les deux frères, sans doute conscients de l’erreur commise quinze ans plus tôt avec la disparition de la grande bibliothèque, la réintègrent dans leurs projets initiaux.


Source Thierry Motte (g) Trois Visages de Passages, Ed. Solibel – CIVA (d)
Ils séparent ainsi clairement l’entrée de la salle de spectacles d’avec l’entrée des bouquinistes, telle qu’elle existait jusqu’à la démolition du Marché de la Madeleine, en 1958. Mais au fur et mesure de l’évolution des plans, c’est une « salle polyvalente » qui se dessine, pourvue de vestiaires et de toilettes. Tournant le dos à la Salle de la Madeleine, elle donne exclusivement sur l’intérieur de la Galerie Bortier.
Pour plus de détails sur le travail des frères Mignot, on se reportera à l’article sur la rénovation de la Galerie par leurs soins, mais on retiendra ici des modifications extérieures, qu’afin de souligner les deux identités distinctes, chacune aura désormais sa façade.
L’entrée historique du Marché, à deux arches, est allouée à la Salle des Fêtes, tandis qu’une autre entrée est créée en amont, dédiée à la seule Galerie Bortier. La nouvelle entrée rue Saint-Jean est surmontée d’une inscription GALERIE BORTIER, identique à celle de la rue de la Madeleine, anciennement libellée MESSAGERIES.
C’est ainsi que, d’une entrée à l’autre de la Galerie Bortier, son unité, sa cohérence et sa spécificité reprennent vigueur sous le compas des frères Mignot.
En guise d’épilogue
« … Et un fromager et un charcutier et un boulanger. Cela s’appelle un retour à l’origine de cette galerie dans laquelle il y aura toujours des livres, c’est juste un retour aux sources de cette galerie » s’exclamait Thierry Goor, le 19 mai 2024, sur le groupe Facebook « Il était une fois… Bruxelles et ses faubourgs ».
En 2024, la Régie foncière, pratiquant depuis des années la politique de la cellule vide, annonce que l’ensemble du lieu a été cédé à la Société Anonyme CHOUX DE BRUXELLES. Thierry Goor, en charge de ce nouveau foodmarket, affirme que la Galerie Bortier a toujours été un mélange de nourritures et de livres. Un peu de recherche d’archives permet d’affirmer et d’étayer le contraire. Son projet « BORTIER LE PASSAGE », agréé par le Bourgmestre et les échevins, est un détournement d’un lieu de sa fonction de toujours: 176 ans d’activités centrées autour de l’imprimé.





