Nicolas Van Cutsem, « Des livres et vous », Galerie Bortier n°11

Nicolas avait déclaré, avec le sérieux de ses 14 ans, à un professeur interloqué, n’avoir que deux options dans la vie: « devenir tueur à gages ou bouquiniste » ! S’il se livre ici ouvertement, c’est qu’il a choisit la deuxième option.

Depuis ses 5 ans, Nicolas et sa mère – récemment divorcée – circulaient en brocantes, dont celle du SHOPPING BASILIX. Elle est une grande lectrice de bandes dessinées tous azimuth, le premier titre de sa collection qui marque le très jeune Nicolas: « MON PAPA » de Jean-Marc Reiser. Des relations adultes-enfants tellement noires et violentes qu’on ne peut qu’en rire.

À 12 ans, devenu lecteur en série, Nicolas avait déjà une bibliothèque de 3000 titres composée grâce à ses nombreux trocs et échanges, passés des cercles scolaires à ceux de l’extra-scolaires. Fort de ses replacements de livres d’occasions, il a accès aux ouvrages neufs. La librairie-galerie spécialisée en bandes dessinées – éditrice d’ex-libris – SANS TITRE, tenue par Thierry Joor avenue de Stalingrad est alors son point culture privilégié. Les frères Joor,Thierry et Christian, étaient deux importants libraires bruxellois en bande dessinée, l’un avec une grande librairie-galerie, proche des éditions Delcourt, et l’autre avec un petit dépôt type western nommé DURANGO.

« Achat et vente: Tout est lié »!  

À 18 ans, peinant à finir ses humanités, il se branche enfin sur LE VIEUX-MARCHÉ, Place du Jeu de Balle. D’abord le week-end, puis libéré du cursus secondaire, chaque matin à l’ouverture à 6h00. Il devient ami avec « le Grand Nico », fils du tenancier de l’HOTEL GALIA, jouxtant les Bains de Bruxelles et donnant sur le marché. Autour d’un verre au bar de l’Hôtel, Nicolas parie avec lui qu’en faisant le tour de la place à la clôture, début d’après-midi, il parviendra à ramasser des « poubelles » pour un montant de 2 000 francs belges. Sitôt dit, sitôt fait! Les déchets des uns deviennent les trésors d’autres. La place du Jeu de Balle est ce chaudron où cette étrange alchimie prend vie tous les jours de l’année! Le petit Nicolas explique son circuit au Grand, épaté: sa revente des imprimés glanés sur les pavés à une célèbre enseigne à quelques encablures de là, au 89 rue du Midi…

ÉVASIONS! 

Cette bouquinerie est un autre bastion de la culture bruxelloise de l’imprimé. Là où LE PÊLE-MÊLE, enseigne historique, trie les arrivages, place les éléments intéressants « backstage » et ne remet au grand public que les éléments filtrés, ÉVASIONS remet en vente directement les éléments achetés au comptoir. « Premier venu: premier servi » ! D’où la ruche de curieux et curieuses, amateurs et amatrices ou professionnel(le)s. Une circulation qui ne cesse du matin au soir. Pour Nicolas, ÉVASIONS achetait aussi « plus chers et une meilleur marchandise ».

Nicolas (à gauche) et un collègue d’Evasions

Franco, qui chapeaute le lieu, était un ancien du PÊLE-MÊLE de la librairie DÉCOUVERTES. Semaines après semaines, des files de voitures se garent rue du Midi, leurs coffres pleins d’imprimés, et le comptoir reste ouvert toute la journée pour recevoir les arrivages des particuliers. Un post se libère en boutique, Nicolas présente spontanément sa candidature. 

Sa journée débutait sur le Vieux Marché, où il est vite reconnu par les puciers et vide-greniers comme spécialisé en imprimés illustrés. Il se familiarise avec les acteurs de cette place, marchands ambulants, marchands en chambre, salles de vente et libraires. Que ce soit sur les pavés, dans les bouquineries ou dans les salles de vente, ce sont des visages familiers: « C’est le même cercle »! Il ne s’est jamais greffé à des organisations d’Antiquariat, chambres d’experts ou d’amicales des vieux papiers. Son apprentissage, c’est, on l’a vu, sur le tas en brassant du volume. Si Nicolas n’a aucune mémoire des dates ou des noms, et des troubles de la concentration, il a un sens instinctif pour repérer les publications de qualité. L’oeil aiguisé et le nez creux. Ses amis s’en amusent « sur une maison, il va trouver les 10 livres intéressants« . Nicolas revend ensuite ses acquisitions à ÉVASIONS et y travaille comme salarié: « Je gagnais doublement ma journée ». 

« J’ai pu grandir dans tous les domaines…à la vitesse de l’éclair »!

A ÉVASIONS, Nicolas achète les livres les plus épars, y annote une cote et les met en rayons. Le département « bande dessinée » devient une importante part de la recette du lieu! Des dizaines de marchands (salle de vente ou librairies) viennent s’y alimenter tous les jours. C’est à son travail, rue du Midi, que Nicolas croise Pascal Trovero. Ce bouquiniste, spécialisé en livres des XVIIIe et XIXe, venait d’emménager à Bruxelles après avoir tenu des années une boutique en région parisienne. Les deux deviennent amis et, à son contact, Nicolas affine ses connaissances en livres illustrés, en éditions originales et en ouvrages de photographies. Un spectre de connaissances bien plus large que le seul, mais déjà très large!, secteur bandes dessinées. Pascal est un des rares qui fait régulièrement la connexion entre Bruxelles et Paris. Il emmène Nicolas sur le marché au Parc Georges Brassens dans le 15e Arrondissement. Avec ce travail à ÉVASIONS, mené pendant 15 ans, il a pu « grandir dans tous les domaines… à la vitesse de l’éclair »!

« Le lieu d’aboutissement de tout bon libraire ».

Un différend éclate entre ses employeurs. Il lui est reproché de déborder des imprimés et de s’intéresser aux « hors-livres » (tableaux, statues, dessins, estampes). Au-delà d’un conflit entre employé et employeur, il s’agit plus certainement, selon lui, d’une crise de croissance. Nicolas cesse de travailler pour des tiers et ouvre son lieu dans le haut de la rue Saint-Jean, à deux pas de la GALERIE BORTIER. C’est Guillaume et Brigitte Choveaux de la galerie « LE TOUT VENANT », spécialisés en estampes, réguliers du Vieux Marché, qui lui conseillent l’adresse à quelques mètres de la leur. C’est avec ce petit lieu de stockage ayant pignon sur rue (qu’on nomme « magasin ») qu’il ouvre « DES LIVRES ET VOUS ». Après deux années d’activité dans ce local étriqué, il s’installe au N°11 en 2017. LA GALERIE BORTIER était pour Nicolas un lieu sacralisé, c’était « le lieu d’aboutissement de tout bon libraire ».

Un logo est réalisé par l’historien de l’Art Nouveau, Jonathan Mangelinckx. Trois jours par semaines, du mercredi au vendredi, de 11H00 à 15H00, les profils les plus variés se relaient et brassent de l’imprimé allant du ticket de tram 1900 à la carte porcelaine, en passant par du lucky-luke broché ou une peinture d’un maitre oublié… le tout autour d’une bouteille de vin. Nicolas est fier d’avoir réussi à donner naissance à cet endroit. 

L’annonce d’artisans de bouche afin de « dynamiser » LA GALERIE BORTIER par Thierry Goor pour le groupe CHOUX DE BRUXELLES le préoccupe mais sans l’inquiéter. Il ne sait si son bail va être reconduit ni qui est, réellement, l’instance qui dirige ce lieu de patrimoine. Poussé par le nouveau gérant/coordinateur, Thierry Goor, il envisage peut-être d’ouvrir le samedi « pour les touristes… » mais précise dans la foulée: « … sans moi, Je fuis les badauds! » 

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